Communauté des Empathies Soustractives et Additives Révolutionnaires

dimanche 27 février 2011

séance de banalyse au bar des puces de Marseille


«la «Banalyse» ne veut en rien se distinguer de la vie en général, sauf, justement, par la volonté de ses membres d’en avoir une conscience aiguë et par leur désir de se rassurer mutuellement – et le plus souvent possible – à ce propos »

Association Métropolitaine de Banalyse.


...une séance de Banalyse a été tenue, lâchée, en mars 2010 au bar des puces de Marseille... quelques traces de café ont percé le temps jusqu'à aujourd'hui sous forme de notes sans suite:

Gabriel Tarde : « exister c’est différer »

Tarde part de l’idée que les représentations collectives sont travaillées par des courants d’imitation et des mouvements d’invention – l’imitation ne partant pas d’une logique individuelle mais se rapportant à un flux ou une onde et non pas à l’individu.

« L’imitation est la propagation d’un flux ».

La « microsociologie » pour Tarde, c’est faire l’étude des ondes de propagation de croyances et de désirs qui parcourent le champ social.

enregistrement :

… ( bruit de salle )

n : il est comment Adorno pour toi ?

c : ( rires )

c : c’est ça sa thèse : « les arts ne convergent que là où chacun suit de façon pure son principe immanent », l’idée est très simple, d’un côté il dénonce une espèce de fausse correspondance, de fausse synesthésie des arts, du genre : Kandinsky ça marche pas, et, la vraie …où chaque art se porte sur sa limite propre et, par là, fait exister quelque chose comme l’art en général.

( coupure )

notes :

Raymond Ruyer ( philosophie de la différenciation )

Pour Ruyer, comme pour Tarde, « exister c’est différer », car la création opère par différenciation.

Dans une conférence, Ruyer, prend l’exemple d’un animal qui, mué par une forte causalité, va en ligne droite vers sa pitance. S’il se présente à lui un danger, un complexe de facteurs va déterminer une « géodésique animale » pour s’en écarter, un écart qui relève selon Ruyer d’une création.

Pour Deleuze, la vraie pensée n’est pas une opération spontanée, naturelle, mais vient d’une nécessité extérieure, d’une rencontre, d’une coupure de flux qui vous y oblige.

Enregistrement :

c : non, il y a une très belle synthèse de tout ça chez Bergson, toute sa pensée c’est penser la distraction de A à Z, tu vas voir ça rejoint exactement ce que tu disais sur Gabriel Tarde, l’idée, l’intuition centrale de Bergson c’est que la distraction par rapport à ce que tu disais sur le flux, c’est la réflexion du flux sur lui-même, comme si l’intuition, l’intuition biologique, c’est l’idée que les formes de vie sont le résultat d’un distraction de l’évolution elle-même, … L’évolution, aveugle à elle-même, flux sans intention, se distrait d’elle-même en déposant ses productions –les espèces- comme l’enfant, dit Bergson, termine sa chute, dans une « volte gracieuse »…

( coupure )

n : … ça revient exactement à ce qu’on disait de Tarde « exister c’est différer »

c : ce que j’ajouterai à Tarde c’est que « être c’est ne pas différer », comme tu disais tout à l’heure, si on reste sur l’exemple du « loup», si je suis « loup » je diffère pas, ça veut dire que je suis indistinctement déjà en train de dévorer la brebis ( ? ) et si je suis loup avec un obstacle à ce moment je diffère, j’existe,

n : si on part du principe que par essence je suis dans un flux, dans ce flux je n’existe pas, je suis, je ne diffère pas, du moment où il y a une rupture de flux, je suis sujet à la création, j’existe

c : le mystère, pour nous qui existons, c’est pas ce qui est avant ou après l’existence, c’est être, au sens laïque du terme, c’est pas un problème, c’est ce dans quoi tu es …

n : mais tu es tellement dedans que tu peux pas le dire

c : l’intuition Bergsonienne c’est ça, quand on perçoit on est dans ce qu’on perçoit, le mystère c’est ça, quand on regarde les étoiles on est dans les étoiles … mais quand je dis ça, je suis déjà dehors et je suis déjà en train de différer … c’est pour ça que c’est une esthétique généralisée, c’est à mon avis ce qu’il se passe dans l’expérience esthétique,

n : on parlait tout à l’heure d’excentricités, mais les fous, est-ce qu’ils sont dans les étoiles quand ils les regardent, est-ce qu’il n’ont pas cette capacité à rompre naturellement le flux, à exister…

c : peut-être que la folie c’est juste une attention excessive aux détails de ce qui est, il y a une frontière très ténue avec une expérience esthétique…La folie comme possible.

coupure

notes éparses prises sur du papier pendant la séance de banalyse :

- la distraction c’est la reconnaissance d’un événement amoureux

- attention aux transformations les plus infimes

voir Leibnitz ( Nouveaux essais ) « petites perceptions »

- Bergson : le rire comme conscience humaine

le comique permet de rester dans le flux – le comique ne crée pas un rire inhumain, chaotique, le rire comme correctif social

- travail : critique de la distraction pure

mardi 16 février 2010

quelques références sur la conférence du 16 janvier 2010

« Le sujet de la création est le chaos(…)Tous les artistes, primitifs ou non, ont été amenés à se mesurer au chaos. »

« …c’est une œuvre d’art qui ne peut même pas être vue, c’est quelque chose dont il faut faire l’expérience ici sur place. »

Barnett Newman, The Sublime is Now

« On peut concevoir une époque où les arts spécialisés et fait exprès seraient abolis et seraient remplacés par l’art des activités ordinaires. Et en somme par l’art de vivre. Ce serait là vraiment la civilisation, et peut-être tout s’oriente vers lui. »

Paul Valery, Cahiers Vol. 2

« Si une personne possède juste assez de sens commun et d’expérience, sa propre manière d’organiser son existence est la meilleure, non pas qu’elle soit la meilleure en soi, mais parce que c’est sa manière propre. »

J.S.Mill, De la Liberté

Toni Negri, Art et multitude

« Pollock a créé des peintures magnifiques. Mais il a aussi détruit la peinture. Son travail est « à la limite du rituel, qui se trouve sans nécessité, utiliser la peinture comme l’un de ses matériaux ». « Pollock, tel que je le perçois, nous a laissé au point où nous devons nous préoccuper de l’espace et des objets de la vie courante, et même être éblouis par eux. »

Allan Kaprow, The legacy of Jackson Pollock

« Je ne demande pas le grand, le lointain, le romanesque ; ni ce qui se fait en Italie ou en Arabie ; ni ce qu’est l’art grec, ni la poésie des ménestrels provençaux ; j’embrasse le commun, j’explore le familier, le bas, et suis assis à leurs pieds. De quoi voudrions-nous vraiment connaître le sens ? De la farine dans le quartant ; du lait dans la casserole; de la balade dans la rue; des nouvelles du bateau ; du coup d’œil ; de la forme et de l’allure du corps ; – montrez-moi la raison ultime de ces questions. »

Ralph Waldo Emerson, The American Scholar

« Afin de comprendre l’esthétique dans ses formes accomplies et reconnues, on doit commencer par la chercher dans la matière brute de l’expérience, dans les événements et les scènes qui captent l’attention auditive et visuelle de l’homme, suscitent son intérêt et lui procurent du plaisir lorsqu’il observe et écoute, tels les spectacles qui fascinent les foules : la voiture des pompiers passant à toute allure, les machines creusant d’énormes trous dans la terre, la silhouette d’un homme, aussi minuscule qu’une mouche, escaladant la flèche du clocher, les hommes perchés dans les airs sur des poutrelles, lançant et rattrapant des tiges de métal incandescent. Les sources de l’art dans l’expérience humaine seront connues de celui qui perçoit comment la grâce alerte du joueur de ballon gagne la foule des spectateurs, qui remarque le plaisir que ressent la ménagère en s’occupant de ses plantes, la concentration dont fait preuve son mari en entretenant le carré de gazon devant la maison, l’enthousiasme avec lequel l’homme assis auprès du feu tisonne le bois qui brûle dans l’âtre et regarde les flammes qui s’élancent et les morceaux de charbon qui se désagrègent .»

John Dewey, l’Art comme Expérience

« La photographie a triomphé de la subjectivité d’une manière dont la peinture n’avait jamais rêvé, d’une manière qui ne pouvait satisfaire la peinture, qui est moins une victoire sur l’acte de peindre qu’elle ne s’y dérobe absolument : par l’automatisme, en éliminant l’agent humain de la tâche de la reproduction. »

Stanley Cavell, La Projection du Monde

Kirk Varnedoe, Le Primitivisme dans l’Art Moderne

mardi 26 janvier 2010

expérience 001

galerie la Tangente, Marseille, le 16 janvier 2010
NAISSANCE du CE.S.A.R.

Si l’empathie c’est la possibilité de comprendre sans expliquer, de sentir en l’autre, de partager une sensibilité, bref de la rendre commune, elle consiste bien en un « partage du sensible ». Mais comment former une communauté d’empathies ? En pariant sur le gain politique de l’expérience esthétique. Non pas que l’expérience esthétique ait besoin d’être démocratisée, elle est présente avant tout le reste, elle doit être mise en commun. Le seul mode authentique de communication est celui de l’art parce qu’il n’en fait jamais une technique, mais toujours une expérience.

La singularité de l’expérience esthétique –c’est-à-dire le fait qu’elle paraisse subjective, et ce, de manière inexpugnable- n’est pas un obstacle à son partage, au contraire, et c’est là notre thèse. Nous voulons tous partager ce qui nous émeut, non pas comme un surplus au plaisir esthétique, mais comme sa source toujours active. L’hédonisme esthétique est un moteur, un accélérateur de perfection. Perfectionnons-nous, passons à une perfection plus grande sur le terrain de nos expériences esthétiques partagées, de notre « sens commun ». Être toujours plus empathique pour être toujours plus singulier. Jusqu’à l’excentricité ? Pourquoi pas. C’est l’indice imparable d’une solide santé démocratique.

Une émancipation politique par l’esthétique doit consister à augmenter sa puissance individuante sur le fond d’un sens commun, d’une communauté esthétique et non d’une cercle d’esthètes.

Nous misons sur l’idée que l’art est le domaine privilégié où peut se manifester une singularité exemplaire d’existence. Il répond toujours à la question de savoir comment avoir sa manière propre d’exister ? Sa manière à soi, singulière. L’art est une invitation à cette expérience de singularité, à cette « expérience de l’expérience ».

Bien sûr, cette expérience peut être a minima, en étant à peine visible, elle gagnera en intensité. Il n’y a rien à voir ici, disait Newman sur les vestiges indiens de l’Ohio, mais il y a tout à expérimenter. Encore une fois, toujours comme une première fois, radicalement. Nous voulons faire exister nos expériences esthétiques comme de petites sculptures sociales.